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Extrait de L'étrange
maison d'Elseva :
« La maison était restée pareille, au bout d'une
rue grevée d'arbres, sur un flanc cossu de la montagne. Elle était
assise dans son cul-de-sac, visible d'en haut, mais pas d'en bas.
On ne peut imaginer plus insolente discrétion. De cette maison,
on a Montréal à ses pieds, et des édifices entassés dont la ligne
commence net, en bas, comme une foison de boutons-poussoirs. Elseva
ne savait rien de ma visite. Sa maison détestait les formalités.
On y était accueilli ou chassé immédiatement. Telle était la maison
d'Elseva, sans heure, sans lieu, presque sans adresse. L'immeuble
avait une gueule inouïe, un sourire comme le chat du Cheshire, qui
attendait Alice. Un sale caractère sous des dehors sereins. Je me
suis annoncé dans le rectangle sombre d'un haut-parleur et la porte
s'est ouverte sans bruit. Personne derrière. Quand on entre chez
Elseva, on ne se méfie pas, d'abord : on se trouve dans un hall
moderne à tons chauds, propres et neutres. Puis on longe un couloir,
qui fait de plus en plus
ancien à mesure qu'on avance. Soudain, on perd le sens du temps,
on cherche l'époque. Et aussi subitement, quand on se croyait aguerri,
on se trouve dans une salle de bal au damier de marbre. C'est énorme,
comme une éclaircie. On pouvait se sentir tout petit. Elseva soigne
ses contrastes... »
Andrée Laurier, L'étrange
maison d'Elseva, novella, Humanitas, 1995
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