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Avant les sables
Couverture Avant les sables

 

LÉVESQUE ÉDITEUR

Amazon.caArchambault.caGallimardRenauld-Bray.comRue des Librairies

 

Un extrait de Avant les sables :

« Le temps pouvait se comporter comme de l’eau pour Myriam B. Gers, bien avant qu’elle adopte les déserts comme lieux de réflexion. Son seul parent connu était navigateur, et peut-être est-ce pourquoi l’espace, lui aussi, se mit à couler autour d’elle à un noeud décisif de son existence.

Des gens se joignirent à elle. Le plus simplement du monde. Un jour blanc, elle faillit tomber mais fut rattrapée juste à temps par deux étrangers qui lui saisirent les bras.

De son appartement, elle les avait souvent regardés à la verrière du café en face de chez elle. Ils étaient experts en attente ; s’asseyaient parfois à la même table, mais ne semblaient jamais se parler. Le jeune homme se nommerait Yacek et la jeune femme, Alba. Il était brun, grand, fuselé ; elle, miel, fine et vive.

Myriam sentit donc ce jour-là la laine du manteau de Yacek, le tonus d’Alba qui n’était ni grande ni petite, mais mince et peut-être têtue. Le jeune homme connaissait Myriam car il l’épiait depuis longtemps, du café, et sa mission, aujourd’hui, consistait à trouver l’exacte couleur des yeux de cette femme. Alba n’avait aucun but aussi précis ni même de préméditation, mais la quasi panique de Yacek, voyant Myriam tanguer, l’avait lancée sur sa trajectoire, derrière lui. Ainsi firent-ils tous les trois connaissance en se heurtant. C’était le premier triangle dans la vie de Myriam. Trois êtres aux pores dilatés en début d’hiver. Dont les battements cardiaques s’accéléraient à l’unisson. Parce qu’ils étaient coincés en Myriam B. Gers où une étrange page attendait.

Myriam lisait mieux dans les êtres depuis que le sien propre lui échappait. Puisqu’elle voyait moins de monde, quiconque l’approchait était un univers à comprendre. À absorber. Elle avait l’impression d’avoir déjà vécu ce moment, en sentait l’importance, et voyait ces deux ex-étrangers comme s’ils se tenaient devant les tableaux d’une exposition éclatant de couleur. La vie, folle, verticale, les réclamait.

Elle le comprit tout à coup. Tout lui était devenu étranger, si ce n’est l’étrangeté même. Jusqu’à avoir l’impression de ne pas être la seule à vivre en elle. Myriam B. Gers disparaissait parfois de sa propre vie. Et gardait des souvenirs précis, pourtant, mais telle une observatrice postée plus loin. Elle croyait se terminer au delà de ses membres. Et comme elle était belle, et comme ce mystère la dénudait, elle s’éloignait de sa propre vie pour en trouver deux. L’intimité, de primordiale, lui était devenue étrange. Une chose immense et inachevée. Elle sourit. Ils le virent.

Il faudrait qu’elle leur parle tôt ou tard, à ces deux bonheurs debout. Ils étaient plus beaux de près que de loin. Yacek, visiblement slave et Alba, plutôt anglaise.

Une équation se préparait, que Myriam devait jauger en quelques secondes.

Elle les laissa la tenir et même la soutenir intensément. Sa beauté un peu mutine, un peu froide, arrêtait des conversations. Puis ce grand manteau de poils de chameau la maigrissait, la faisait paraître plus tragique. Normalement, sa prestance la rendait inatteignable, comme une damnation. Ou alors elle la perdait presque complètement ; à preuve, ces bras qui insistaient sur les siens.

Elle les pilotait vers chez elle. Ils tenaient bon, surtout qu’ils savaient exactement à quelle fenêtre elle paraissait le jour. Et c’était à deux pas, le 56 de la rue Maille.

Depuis qu’elle s’intéressait à l’art, dans son enfance, même, Myriam avait cherché à comprendre le halo qui maintenait lumineuses les choses dites belles. De sa propre beauté, elle ne tirait aucun orgueil. Elle n’y était pour rien. Elle la quitterait. Peut-être bientôt. Une ombre commençait à se dessiner autour de ses yeux. Elle ne les laissait pas la regarder de face. »

Andrée Laurier, Avant les sables, novella, Lévesque éditeur, 2011.

 

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