Entretien fictif autour du roman Le jardin
dattente
Pouvez-vous nous donner un bref résumé
de votre dernier roman ?
Une femme sauvée par la médecine
il y a treize ans, éveillée dun coma dans une
longue amnésie, erre un peu en planant sur sa mémoire
retrouvée, à distance de ses récentes amours.
Elle se met vraiment à vivre le jour où elle a le
choix de décider de sa mort. Elle va dabord vers lEst,
le Levant, puis vers le Nord, et là, elle fait dune
forêt un jardin où attendre que la vie et la mort se
touchent avec respect, et se renforcent par leur différence.
Dans ce voyage, elle rencontre un miroir delle, et précède
sa propre agonie. Dès labord, la mer, leau, ce
qui reçoit son corps se lève et la porte : cest
une géante venue vers elle. Une géante en fuite, compagne
de voyage. Qui sappelle Davida. À la fin du voyage
viennent les êtres aimés. Ils viennent vivre là.
Dans le vert dune attente.
Pourquoi devrait-on lire ce livre, à
votre avis ?
Parce que cest prenant, jespère.
Parce que cest une façon de regarder la mort comme
art de vivre. Nous avons peur de la mort. Nous la voyons parfois
venir. Un roman peut s'attendrir, explorer de dures réalités,
nous les rendre plus faciles à appréhender. Et si
nous la préparions comme une belle célébration
de la vie, cette mort ? Si la vie nous en donnait le temps ? Alors
que serait la mort face aux vivants qui demeurent ? Voilà
pourquoi on peut tirer quelque chose de profond de cette lecture,
si on veut bien de sa petite musique. Lhistoire cherche la
beauté dun tabou. Mourir au centre dune élégie
du vivre. Ce nest pas triste. Au contraire. Jespère
que cest simplement prenant.
Quel rôle tiennent le rêve et
le songe dans ce roman ?
Ils sont la raison profonde de lexistence,
et ses messages indubitables et mystérieux. Ils sont là
où la mémoire presque oubliée sest tue
un jour pour laisser vivre la nouveauté, et où la
vie se rappelle vaguement tout ce quelle est : les temps,
les lieux, les êtres de toujours. Le rêve profond est
la raison première de nos forces, la cloison faible de lidentité.
Cest là où nous sommes plusieurs et nous nous
rejoignons dans une même langue étrange. Le rêve,
puis le songe éveillé sont le pont entre la vie et
la transformation qui la suit et la précède. Louverture.
Le voyage le plus difficile. Tous ce que nous ne savons pas mais
voudrions deviner.
Vous semblez aimer les paradoxes de la force
et de la fragilité, les contrastes, dans ce livre ?
Oui, la géante
qui semble la plus forte est en réalité la plus vulnérable,
comme la femme qui semble partir est celle qui restera le plus.
Les hommes aiment et trouvent la matière et bâtissent
des nids, plutôt que questionner ou pleurer, ils forgent,
mais les femmes font lespace intérieur dun battement
impérieux dailes, et bougent des arbres avec de dures
larmes ou des cris. Trois femmes vont disparaître, un couple
saime furieusement. Lune mourra, tandis quun enfant
se prépare dans le ventre de lautre. Tout se définit
aussi par lécart de son contraire.
Ça semble compliqué
mais lhistoire est simple ! Une femme exerce sa vie en mourant.
Voilà. Elle aime. Est aimée, cherche où est
le début ou la fin. Un voyage, des compagnons, des larmes
et des ballons jaunes qui butent sur de lécorce de
bouleau, les doigts noircis dun tout petit garçon qui
aime jouer avec la terre. Des adolescentes dans des bottes de sept
lieues. Des «choses» de la vie. De la pelouse à
tondre.
Le livre est écrit dans
une sensualité-limite. Comme un éloge à la
mort en exacerbant la vie, un hommage à la force en disant
la faiblesse, une réflexion sur la pérennité
en invoquant la brièveté dune existence. La
protagoniste, Hélène, ne vivra que treize ans dune
seconde vie qui lui a été donnée sans quelle
la demande ou y consente. Car nous avons aujourdhui les moyens
de redonner la vie ou de la prolonger sans trop savoir qui nous
sommes et ce que nous nous donnons ainsi, au fait
Que faisons-nous,
en tous nos instants conscients, de ce temps et de ces espaces qui
nous sont conférés le temps de les subir ou de sen
enchanter ?
Mais il y a une magie, dabord,
que jai cherché à invoquer parce que ces mystères
sont là, et quon ne sait pas les réponses, même
après deux millénaires dhistoire bien homologuée.
Les contrastes existent et se définissent lun par lautre.
Pas de mort sans vie, pas de rêve sans veille. Pas dabsence
sans la gloire des sens qui captent ! La mort est un passage. Comme
la vie. Et si la mort était le plus long des rêves
?
On retrouve une douceur maternelle encore,
mais plus charnue que dhabitude, en cette géante Davida
qui vient vers Hélène dans un parc au beau milieu
de lhiver. Elle surgit, littéralement.
Oui, Davida, cest la mer ou la mère
qui sest levée toute droite, la portée, lespace,
lexistence du corps et son repli ou sa tendresse simple. Davida
a perdu son enfant, elle est creuse à lintérieur,
la géante. Elle fuit une injustice qui ne lui a pas donné
droit à son deuil ou à ses propres viscères.
Hélène la trouve, et Davida la love où était
son enfant avant quil ne meure. Davida forge une matrice à
la mort-passage, comme une figure de mythologie, une statue simple
mais évidée. Elle prend la simplicité dHélène
en elle. Puis Davida cesse de parler. Davida cherche son propre
miroir.
LEst, le Nord, semblent avoir beaucoup
dimportance dans ce récit.
LEst est un avenir puisquil porte
le prochain matin, un peu despoir tout incertain, en fait,
une ancienne foi : «le soleil se lèvera demain»,
dit-on -- «
et sinon sur moi, au moins sur eux».
LEst, cest la lumière imprécise mais chaude
de lOrient, son mystère, sa brume dans lair comme
une perle. LEst, cest lavenir où Hélène
cherche à précéder son agonie. Parce quelle
a peur et quelle fuit ceux quelle aime. Elle ne sest
pas trouvée et elle sait le temps limité parce que
son corps la quitte. Elle veut laisser quelque chose qui soit vrai
à ceux qui lont aidée à renaître.
Davida lui permet le voyage dépreuve, ce plongeon dans
le proche miroir de lespace. Sans la géante, elle ne
pourrait pas partir. A Dubrovnik, puis à Istanbul, et à
Bodrum, Hélène se voit, se tue, en quelque sorte.
Apaisée, épuisée, elle retrouve le Nord, sans
plus de prétexte, se renouvelle et se constitue avant la
fin. Il reste à aimer. Le temps des vivants. Il reste à
les aider à se tenir orgueilleusement debout. À assumer,
car assumer est vivre. Et vivre tout en semblant partir.
Le Nord
Le Nord est une
éprouvante et généreuse épuration. La
page blanche où se recommencer si lon veut. Le point
de fuite dangereux. La lumière froide et pure, sans tricherie.
Un miroir extrêmement lisse et sans mensonge. Ceux qui aiment
Hélène viennent lui porter leur vie, ils se trouvent
un peu. À travers des coups de cur, de rage, de désespoir
parfois. Ils se déracinent pour témoigner du passage.
Sans le vouloir, elle les dévoile à eux-mêmes,
ceux quelle ne sait pas trop comment aimer mais aime furieusement
au-delà de la mort.
On croit assister au dédoublement dun
personnage. Sinon à trois exemplaires dHélène
!
Hélène est la survivante dune
paire de jumelles. Lautre est mort-née. Elle vit donc
avec la mort depuis quelle est consciente de vivre. Ensuite,
un accident lui chope lidentité et la mémoire
quand elle a vingt-neuf ans. Hélène vit donc une deuxième
vie, comme survivante, déjà, dune paire de jumelles.
Quand elle retrouve la mémoire familiale de cette jumelle,
elle retrouve son passé, invoque sa sur morte. Plus
tard, elle se trouve un sosie à lautre bout du monde,
doù viennent certaines des migrations de lhistoire
humaine. Un lointain passé, plus trouble encore. Là
se meurt une femme en tous points semblables à elle. Hélène
est donc triple, dans son identité. Avant de mourir, elle
découvre que nous ne sommes jamais seuls avec ce que nous
croyons être nous-mêmes
Le passage nest
pas seulement vers la mort. Mais vers lAutre que nous pensons
étranger. Cet autre que nous choisissons en quelques exemplaires
chéris, et dont nous apprenons la diversité à
lenvi. Cet autre est aussi nous. Vieux message ? Cest
sans doute quil est sensé, chez un animal grégaire
?
Trois exemplaires dHélène,
trois histoires possibles dHélène
Qui sachèvent avec celle-ci.
Dans un jardin dattente. Au Nord des certitudes.
Extrait du roman Le
jardin dattente.
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